La conviction que la justice sociale est la base pour la paix mondiale et qu'elle peut être réalisée par l'introduction internationale des « conditions de travail véritablement humaines », est l'une des pierres angulaires de l'OIT. La combinaison du travail et de la justice sociale s'est manifestée dans une lutte pour des salaires justes, pour des droits à la protection sociale et pour la liberté d'association syndicale, ou, autrement dit, dans une lutte pour les droits de l'homme, pour la liberté et pour l'égalité par et pour la classe ouvrière. Les exigences, les objectifs et les actions des ouvriers ont eu un impact bien au-delà des frontières nationales et des classes sociales.
Cependant, depuis les années 1970, la mondialisation progressive et la délocalisation des sites de production depuis les pays industrialisés vers les pays en voie de développement ont mis à rude épreuve cette synergie - et donc aussi l'OIT. En effet, si la « nouvelle division internationale du travail » a mis en danger les emplois dans les pays industrialisés, elle a également créé des conditions de travail dans les « pays à bas salaires » qui étaient bien en deçà des normes occidentales. Dans ce contexte, une tension s'est créée entre les intérêts nationaux concernant les sites de production et la solidarité de classe internationale, ce que je contextualiserai dans ma communication en prenant l'exemple de l'industrie textile. A cette période, le développement de l'industrie textile en particulier était étroitement lié aux conflits en rapport avec la délocalisation des sites de production et avec les mauvaises conditions de travail et d'exploitation. L'industrie textile est donc rapidement devenue un berceau de conflits liés à la question des droits de l'homme.
Mon exposé analyse les liens entre le travail et la justice sociale à l'ère de la mondialisation. L'OIT, qui s'est ouverte aux intérêts du « Sud global », est devenue le lieu central des débats internationaux sur la solidarité syndicale, le travail global et les nouvelles normes sociales à créer ou à mettre en œuvre. Cependant, l'OIT est confrontée au même problème que les syndicats textiles (internationaux) : mener une politique internationale pour les travailleurs de l'industrie textile malgré les contraintes des intérêts nationaux et promouvoir le développement social sans affecter le profit économique. Cette ambivalence était par exemple évidente dans la demande du syndicat allemand des travailleurs de l'industrie textile d'inclure une clause sociale dans l'Accord mondial sur le textile. Le commerce international et l'industrialisation doit être soumise à des conditions sociales et assurer le respect des normes minimales de l'OIT en matière de conditions de travail, sociales et de vie. Cette exigence a été ignorée à plusieurs reprises afin de ne pas compromettre d'éventuelles prorogations de l'accord commercial mondial, qui constituait en tout état de cause la seule exemption du GATT pour une partie du commerce mondial. En outre, cette demande cachait également l'intérêt économique des pays industrialisés à réduire l'avantage concurrentiel des pays en développement par des coûts de production et de mains-d'œuvre très bas.
Basée sur les dossiers des syndicats des travailleurs du textile de l'Allemagne de l'ouest et de l'OIT elle-même, ma communication présentera des idées et des revendications relatives aux conditions de travail « justes », aux salaires « justes » et aux droits « sociaux mondiaux ». Une dynamique immanente à l'OIT en ce qui concerne les processus de négociation du « travail décent » et de la « justice sociale » s'impose, ce qui permet deux conclusions centrales. D'une part, les discussions entre délégués des gouvernements, des syndicats et des entreprises sont symptomatiques des conflits qui ont éclaté entre les acteurs politiques, sociaux et économiques. De l'autre, le caractère international de l'organisation met en évidence les conflits de solidarité entre la protection nationale des travailleurs et la solidarité transnationale des travailleurs au sein d'une industrie qui a subi une transformation profonde dans le cadre de la mondialisation, dont les effets et les problèmes sont encore clairement perceptibles de nos jours.
ENGLISH VERSION
Solidarity in (Times of) Crisis – The ILO and the Question of ‘Social Justice' in Textiles and Clothing since 1970
The conviction that social justice was the basis of universal peace and could be achieved by the introduction of “humane conditions of labour” constitutes one of the ILO's cornerstones. In modernity, the connection between labour and social justice manifested itself in a struggle of (and for) the working class for just wages, social property rights and freedom of association, with the impact of workers' claims and initiatives extending national and class borders. Since the beginning of the nineteen-seventies, the onset of globalisation and the relocation of production from industrial to developing countries have tested this synergism – and thus also the ILO. The ‘new international division of labour' did not only threaten workplaces in industrial countries but also create working conditions in ‘low-wage-countries' that were far below western standards. Against this background, a new area of conflict arose between national interests and international class solidarity, which I will contextualise using the example of the textile and clothing industry that was closely related to conflicts surrounding desolate working conditions, exploitation and relocation and thus turned into a controversial issue revolving around questions of social and human rights. My presentation analyses the links between labour and social justice in the age of globalisation. Opening up to the interests of the ‘Global South', the ILO proved to be a central arena for debates on trade union solidarity, global labour and the implementation of labour and social standards. Nevertheless, the ILO had to face the same problems as (international) textile and clothing unions: making international policy for textile workers within the limitations of national interests and promoting social development under the conditions of economic profit. Demands to introduce a social clause into the Multi Fibre Arrangement provide an example for such an ambivalence: According to the German textile and garment workers' union, international trade and industrialisation policy should be subjected to social conditions and guarantee the fulfilment of ILO minimum standards regarding working, social and living conditions. Yet, these demands were repeatedly ignored due to the fear that they might undermine extensions of the MFA and its special status as the only exception to GATT rules. Moreover, they carried the economic interest to reduce competitive advantages of developing countries due to low production and labour costs. Drawing on documents and files of West German unions and the ILO itself, the presentation will point out conceptions and demands regarding ‘fair' working conditions, ‘just' wages and ‘global social' rights. It highlights an ILO-immanent dynamic of negotiating ‘humane' or ‘decent work' and ‘social justice' leading to two key findings: firstly, the discussions between government, employer and worker representatives are symptomatic of conflicts emerging between political, economic and social actors. Secondly, the organisation's internationality points to conflicts of solidarity between national labour protection and transnational labour solidarity within a branch of industry that, in the course of globalisation, underwent a transformation, whose impacts and problems are still visible today.