Entre internationalisme et antibolchevisme : la collaboration de la Pologne avec l'OIT entre les deux guerres
Natali Stegmann  1  
1 : University of Regensburg

Bien que nous sachions beaucoup de choses sur les États membres européens de l'OIT, et, plus récemment, sur les États membres non européens de l'OIT ainsi que sur la façon dont ils fonctionnent au sein des réseaux internationaux, l'Europe centrale et orientale constitue presque une « tache obscure » dans les textes qui retraçent l'histoire de l'OIT. D'un côté, ce constat dénote une lacune de la recherche ; de l'autre côté, un examen plus approfondi de l'engagement dont font preuve ces régions dans l'instauration d'un internationalisme de l'entre-deux-guerres, servira aussi à mieux saisir le cadre organisationnel et les rapports de force de l'époque.

Dans la foulée de la Première Guerre mondiale, la Pologne avait été (re)fondée selon l'agencement défini par le Traité de Versailles. Il est vrai que l'état nouvellement fondé devait son existence au système de Versailles ; cependant, Józef Piłsudski, le fondateur de l'État et ci-après le commandant du coup d'État de 1926, fit passer la reconstruction de l'État polonais pour le résultat d'un combat indépendant de la nation polonaise. Cette constellation a influé sur la question du tracé de la frontière : alors que la frontière occidentale de la Pologne de l'entre-deux-guerres fut fixée à la Conférence de Versailles, le différend concernant la frontière orientale dura jusqu'en 1921. La guerre frontalière entre la Pologne et les bolcheviks était en outre étroitement liée au fait que la Pologne était conçue comme un rempart contre le bolchevisme, ce qui, au sein de l'OIT, conféra à l'héroïque combat national une certaine légitimité (cet argument fut cité assez fréquemment dans les premières correspondances). Quant à la transition ultérieure de la démocratie à l'autoritarisme, le cas de la Pologne renvoie à cette même ambivalence.

La Pologne occupe donc une place particulière dans l'architecture internationale de l'entre-deux-guerres. Non seulement le rang de la Pologne dans l'ordre international était marqué par son positionnement entre le monde occidental et la Russie révolutionnaire, mais encore cette circonstance avait un retentissement sur le passage de la démocratie à un régime autoritaire, qu'on légitimait par le même biais que la guerre des frontières, à savoir en termes d'héroïsme, en mettant en avant le sauvetage de la nation par Piłsudski.

Cet exposé décrira la façon dont les politiques sociales se sont élaborées à l'intersection des idées et des normes nationales et internationales. Il analysera ensuite ce que sont devenues les lois, les personnes et les idées préexistantes une fois que l'Etat polonais était devenu autoritaire. À première vue, il n'y a pas eu de rupture dans les relations entre la Pologne et l'OIT après 1926. En tant que régime autoritaire moderniste et, dans un premier temps, modéré, il ne faisait, en apparence, que mettre en oeuvre la politique sociale qu'on l'avait empêché de déployer auparavant. Mais il est tout aussi évident que le régime de Piłsudski a été profondément caractérisé par l'affectation de modes de comportement héroïques, par le culte du leader et par l'étatisme. Il semble que les acteurs internationaux de l'OIT n'aient pas tenté d'intervenir dans cette constellation. Ainsi, le glissement vers l'autoritarisme (qui s'est opéré également dans d'autres nations de l'Europe de l'entre-deux-guerres), tout en s'appuyant sur le nationalisme, avait bien une composante internationale, en particulier dans les domaines sociaux et du travail. Dans ce contexte, cette contribution montrera comment le nationalisme a fonctionné dans le cadre international.

 

 

ENGLISH VERSION

 

Between Internationalism and Anti-Bolshevism: Poland's interwar collaboration with the ILO

While we know quite a lot about the European and recently also about the non-European member states of the ILO and their functioning in international networks, East Central Europe is almost a blind spot in ILO histories. This statement describes not only a gap in research. But, a closer investigation of the respective regions commitment to the establishment of interwar internationalism also provides a deeper understanding of the organizational framework and the power relations at the time.

Poland had been (re)founded at the end of World War I in the context of the Versailles order. If the newly founded state owed the Versailles system its existence, the state founder and later commander of the coup d'état of 1926, Józef Piłsudski, staged the rebuilding of the Polish state as the result of an independent fight of the Polish nation. This constellation affected the question of the border demarcation; while the Western border of interwar Poland was fixed at the Versailles Conference, the fight over the Eastern border lasted until 1921. The border war between Poland and the Bolsheviks was also intertwined with the functioning of Poland as a bulwark against Bolshevism, which gave the heroic national fight a certain sense of legitimacy within the ILO (an argument which is quite prominent in the early correspondence. Against the backdrop of the later transition from democracy to authoritarianism, the Polish case hints exactly at this ambivalence. Hence, Poland occupies a certain place in the interwar international architecture. The Polish part in the international order was not only marked by its positioning between the Western World and revolutionary Russia. But, additionally, this corresponded with the shift from democracy to authoritarian rule, which was legitimized in the same way the border war had been, in terms of heroism with Piłsudski rescuing the nation. 

The paper will outline how social policy making was provided at the intersection of national and international ideas and standards. And it will follow up what happened to the given laws, persons and ideas after the Polish state had become authoritarian. At first glance, there was no rupture in the relations between Poland and the ILO after 1926. As the authoritarian regime was a modernist and during the first years also moderate, it seemingly carried forward social politics which so far had been prevented from unfolding before. But, it is also obvious that the Piłsudski regime was deeply affected by heroic patterns of acting, by leader cult and by etatism. It seems as if the international actors of the ILO did not try to intervene in this constellation. Thus, the totalitarian shift, which characterizes also other nations in interwar Europe, had, even as it had built on nationalism, obviously also an international component, especially in social and labour politics. Against this backdrop, the paper will show, how nationalism worked within the international framework.


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