Ma communication porte sur les interrelations entre deux processus, celui de la montée en puissance de la responsabilité des entreprises d'une part, et le déclin drastique de la densité syndicale d'autre part. Ma recherche repose sur deux hypothèses: 1/ les deux processus, en parallèle, sont liés aux mêmes circonstances socio-économiques. 2/ en dépit de la diversité historique et nationale des unions ouvrières, l'organisation syndicale a un impact décisif sur la diminution des inégalités, du taux de pauvreté et des écarts salariaux entres les sexes (Tilly 2006; Hayter 2015; Farber et al. 2018).
L'accroissement de la responsabilité des entreprises durant les années 1990 est souvent théorisé en fonction de quatre facteurs : l'ascendance relative du pouvoir des entreprises, le recul de l'Etat providence, l'avènement des sociétés civiles et le déficit croissant dans la gouvernance mondiale. Tous ces facteurs, perçus conjointement, ont une conséquence majeure sur la récurrence et la radicalisation des conflits employeur/employé. Ce phénomène a entrainé des pressions sociales exercées sur les entreprises transnationales dans le but de corriger des distorsions quant aux conditions inadaptées du travail, et celui des enfants en particulier. Cette pression a conduit à augmenter la responsabilité entrepreneurial adoptée aux normes internationales du travail telles que le droit de s'organiser et la liberté de négociation collective (Mundlak 2004; Wells 2007). Depuis les années 1990, la perception de la responsabilité des entreprises s'est développée en deux tendances principales. Selon la première, la responsabilité des entreprises devient un outil stratégique à la fois pour apaiser les pressions sociales et neutraliser les régulations et réglementations publiques. Loin des situations conflictuelles qui l'ont générée, la notion de responsabilité des entreprises est constitutive d'un discours où les conditions inadaptées du travail sont souvent reliés à des questions de gestion des risques plutôt qu'à des problèmes d'éthique et de morale (Kytle and Ruggie 2005; Barkay 2017). La deuxième tendance renvoie la perception de la responsabilité des entreprises à la création de toute industrie qui pratique, à l'aide d'une palette d'instruments, une autorégulation. Ces deux tendances sont révélatrices aussi bien du déclin de la régulation publique que de l'institutionnalisation de la responsabilité des entreprises, nouveau cadre de règlementations (Berger‐Walliser and Scott 2018).
La responsabilité des entreprises qui intervient désormais dans le processus de productions implique des changements structurels souvent contestés. D'abord, les normes internationales du travail font partie intégrante des codes relatifs à la responsabilité des entreprises, même s'ils n'obéissent pas stricto sensu au cadre réglementaire. Ensuite, les modèles de responsabilité des entreprises permettent aux employés de devenir actionnaires à titre individuel et non pas à titre collectif, en tant de membres d'unions syndicales, et cela en conformité avec l'ensemble des rapports qu'entretient l'entreprise avec tous ses collaborateurs (Stoney and Winstanley 2001). Enfin, le discours répandu sur la responsabilité des entreprises minore le déclin draconien des organisations syndicales, en dépit du lien direct qui existe entre le travail organisé et la diminution des inégalités et l'amélioration générale du niveau de vie.
Au vu de ce qui précède, cette recherche s'intéresse à l'effort investi par des travailleurs dans les entreprises d'opérateurs mobiles en Israël, en analysant le discours judiciaire, managérial et commercial, qui s'est cristallisé autour du droit des travailleurs à s'organiser. La communication interroge comment l'accroissement de la responsabilité des entreprises s'articule proportionnellement avec la diminution de la densité syndicale. Elle suggère que la responsabilité des entreprises, dans sa forme actuelle, jette les bases des nouveaux cadres règlementaires du travail ainsi qu'une stratégie de gestion des risques, avec pour effet, la dépolitisation des relations syndicales.
ENGLISH VERSION
The ILO International Labour Standards, Corporate Responsibility and Union Density: mutual impacts and possible links
The proposed paper focuses on the inter-relations of the rise of corporate responsibility (CR) on the one hand, and the drastic decline in union density on the other. The paper stems from a couple of understandings: First, that both trends have occurred roughly at the same period and under similar socio-economic circumstances; and Second, that despite the national and historical diversity of labour unions' power sources, organized labour has a crucial effect on reducing inequality, poverty rates and gender wage gaps (Tilly 2006; Hayter 2015; Farber et al. 2018).
The rise of CR in the 1990s is often theorized as a product of the ascendance of corporate power, the retreat of welfare states, the rise of global civil society and the global governance deficit. Perceived as jointly contributed to the radicalization of employer-employee conflicts, these processes have raised public pressures exerted on transnational corporations (TNCs) to remedy their malpractices, among which are poor working conditions, child labor and inadequate salaries. TNCs have responded by launching CR initiatives in which the ILO international labour standards - including the rights to organize and to bargain collectively - were commonly incorporated (Mundlak 2004; Wells 2007). In the years to come CR has developed in two main trajectories relevant to this paper: First, increasingly utilized as a business strategy to pacify social pressures and neutralize public regulation, CR has shifted away from its original conflictual context. As a result, present-day CR discourse often frames corporate malpractices as business risks rather than social evils (Kytle and Ruggie 2005; Barkay 2017). Second, CR has grown into an industry within which a range of voluntary and self-regulatory instruments is designed and deployed (Vogel 2008). This development reflects both the decline of public regulation, and the institutionalization of CR as a novel regulatory framework (Berger‐Walliser and Scott 2018).
Shaped by these developments, the CR treatment of labour issues is largely characterized by three contested trends: First, although the ILO international labor standards have become an integral element in a clear majority of CR codes, they are framed as “beyond compliance” commitments (in line with other CR concerns); Second, following the conception of CR as the overall relationship of corporations with their stakeholders, CR models tend to focus on employees, rather than unions, as major stakeholders (Stoney and Winstanley 2001); Third, despite the documented contribution of organized labour towards reducing inequality and improving standards of living, mainstream CR discourse commonly neglects the drastic decline in organized labour and its worrying effects.
Drawing on an in-depth ethnographic research that followed the unionization efforts in a leading Israeli mobile operator, and on a content analysis of legal, managerial and business discourses surrounded this case of unionization the proposed paper offers an exploration of the interrelations and mutual impacts of the rise of CR and the decline of union density. Overall, the paper suggests that CR in its present form as both a novel regulatory framework of labour standards and a risk-management strategy furthers the de-politicization of labour relations.