Près de 100 ans d'histoire de l'OIT ont montré la constante perspective d'avenir de l'Organisation. Plutôt que de célébrer le passé, les anniversaires de l'OIT ont été et sont effectivement des moments programmatiques d'innovation et de planification. Tout comme le centenaire à venir, pour lequel l'OIT se prépare à devenir le principal centre international de politiques sur «l'avenir du travail», le cinquantième anniversaire de l'OIT, en 1969, visait à réorganiser les activités de l'Organisation en fonction des tendances socio-économiques mondiales d'alors.
Cette communication jette un nouvel éclairage sur les origines et les premières années (1969-1976) du Programme mondial de l'emploi (PME), le principal projet de politique de l'OIT des années 1970, inauguré à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'Organisation. S'appuyant sur des sources primaires trouvées dans les archives de l'OIT, cette communication démontre le grand impact du PME sur l'histoire de l'OIT et sur le développement international d'après-guerre.
L'histoire et les origines du PME ont été négligées jusqu'à présent dans la littérature académique. La plupart de ce que nous savons à ce sujet provient de documents officiels de l'OIT et de comptes-rendus écrits par d'anciens protagonistes du programme [Emmerij, Jolly, Weiss 2001; Emmerij, Jolly, Ghai 2004].
Le Programme mondial de l'emploi représente la dernière forme - et la plus emblématique - de la métamorphose de l'OIT des «Années Morse» (1948 - 1970) [Maul 2012]. Pendant l'entre-deux-guerres, l'OIT s'est principalement concentrée sur la mise en place de normes pour le monde occidental. Dans les années 50 et 60, l'organisation s'est progressivement imposée dans le domaine de l'assistance technique aux pays coloniaux, puis «en développement». Mon hypothèse est que le PME représente une avancée logique dans cette évolution, dans la mesure où il a donné à l'OIT les caractères d'une véritable agence de développement.
De cette façon, le PME est allé bien au-delà des compétences "traditionnelles" de l'OIT, en ce qu'il a servi à la (ré)élaboration de concepts-clés dans l'histoire du développement, tels que "redistribution à partir de la croissance", "secteur informel", "besoins fondamentaux". Cela a permis à l'OIT de proposer une nouvelle version de l'ancien "development with a human face" de la fin des années 30. Selon la stratégie du PME, la création d'un emploi «productif» visait à détrôner le PNB de son statut de principal objectif de la politique internationale de développement. Le chômage était donc considéré comme le principal obstacle au développement des ressources humaines, consacrées comme la véritable richesse des nations. Avec cette approche, l'OIT pourrait combiner la motivation morale de la lutte contre la pauvreté à un projet alternatif de développement social et économique.
La communication est structurée autour de trois sections principales. La première section concerne la phase préparatoire du WEP, depuis les plans régionaux des ressources humaines de l'OIT du milieu des années 1960 jusqu'au lancement du programme en 1969. La deuxième section est consacrée au développement des premières «Comprehensive Employment Missions» du PME, en Colombie et au Kenya. La troisième section est consacrée aux activités de recherche du WEP et à leur lien avec la très importante Conférence mondiale de l'emploi de 1976. En s'appuyant sur l'expérience du WEP, je propose en conclusion quelques éléments d'analyse sur le rôle général de l'OIT et ses résultats en tant qu'agence de développement sui generis.
ENGLISH VERSION
Almost 100 years of ILO history have shown the Organization's inherent forward-looking philosophy.
Rather than celebrations of the past, ILO anniversaries have been and are indeed programmatic
moments of innovation and planning. Just like the incoming centenary, for which the ILO is preparing
to become the main international policy hub on ‘the future of work', also the 50th ILO anniversary in
1969 was meant to re-fashion Organization's activities according to global socio-economic trends at
the time.
Starting from its launching on the occasion of the 50th anniversary, the present paper sheds new light
on the origins and first years (1969-1976) of the World Employment Programme (WEP), the main ILO
policy project of the 1970s. Based on primary sources found at the ILO archives, the paper
demonstrates the great impact of the WEP on the history of both the ILO and post-war international
development thinking.
The WEP has been neglected by academic literature so far. Most of what we know about it comes from
contemporary ILO documents and accounts written by former protagonists of the Programme
[Emmerij, Jolly, Weiss 2001; Emmerij, Jolly, Ghai 2004], the latter only of relative use for historiography
[Maul 2012].
The World Employment Programme represented the last and most emblematic shape of the
metamorphosis of the ILO in the course of the ‘Morse years' (1948 – 1970). During the inter-war
period, the ILO mainly focused on standard-setting geared to the ‘Western world'. In the 1950s and
1960s, it progressively settled at the forefront of technical assistance to colonial – then ‘developing' –
countries. My hypothesis is that the WEP represents a logical step forward in this evolution, in so far
as it provided the ILO with the character of a fully-fledged development agency.
The WEP went far beyond ‘traditional' ILO competences as it served for the (re-)elaboration of key
concepts in the history of development such as ‘redistribution from growth', ‘the informal sector',
‘basic needs'. It allowed the ILO to come up with a new version of the old ‘development with a human
face'. According to this strategy, the achievement of ‘productive' employment was meant to dethrone
the GNP as the main target of development policy. Unemployment was therefore regarded as the
greatest impediment against the unfolding of human resources, enshrined as the true wealth of
nations. With this approach, the ILO could combine the moral incentive of the fight against poverty
with an alternative way to realise social and economic development.
The paper is structured around three main sections. The first one dwells on the preparatory phase of
the WEP, from mid-1960s ILO regional Human Resources plans to the 1969 launching of the
Programme. The second section focuses on the development of the ‘pioneer' WEP ‘Comprehensive
Employment Missions' to Colombia and Kenya. The third section focuses on WEP research activities
and their link with the momentous 1976 World Employment Conference. Relying on the WEP
experience, the paper eventually provides some elements of analysis on the ILO's overall role and
outcomes as a sui generis development agency.