Par auteur > Vaxevanoglou Aliki (alice)

Les vicissitudes de la notion d'économie informelle et l'Organisation Internationale du Travail
Aliki (alice) Vaxevanoglou  1@  
1 : Centre de Recherche sur la societe grecque  (KEEK)  -  Site web
14 Anagnostopoulou str., 10673 Athens -  Grèce

Née au début des années 1970 au sein de l'OIT, la notion d'économie informelle  devint dès lors une composante fondamentale de son arsenal conceptuel. Le nouveau terme, limpide et nébuleux à la fois, connut une destinée fulgurante, adopté par la plupart des organismes internationaux (ONU, Banque Mondiale, OCDE..) et, plus tard, par l'Union Européenne. Conçue pour décrire la quasi-totalité des activités économiques des habitants des villes africaines, la notion d'économie informelle fut aussitôt transplantée en Amérique Latine et dans divers pays du Sud, englobant un pourcentage essentiel de leurs populations. Elle paracheva sa trajectoire terrestre à la fin des années 1970, atteignant les riches pays du Nord, où elle ne concernait qu'une minorité de laissés pour compte. De fil en aiguille et de rapport scientifique en Conférence Internationale, le nouveau concept se propagea tout aussi rapidement dans le monde savant. Malgré quelques défiances, objections et critiques, nombreux économistes, anthropologues, sociologues, etc. lui firent un accueil de bon aloi, suivi de débats passionnés sur des questions techniques, méthodologiques ou statistiques. En quelques années, l'informel devint un thème scientifique per se, accrédité par l'augmentation exponentielle des publications sur le sujet.

En fait, la réalité socioéconomique à laquelle renvoyait ce terme n'était nullement inconnue des anthropologues, des économistes du développement ou des historiens. Néanmoins, la nouvelle approche dualiste formel/informel, apparemment évidente mais profondément ambigüe, parvint à s'imposer et la condition socioéconomique des pays les plus pauvres fut identifiée à l'informel. L'économie informelle était un contre-modèle, la façon par laquelle les riches pays du Nord allaient désormais interpréter toute activité économique non-conforme à leurs normes de travail et de production: industrialisation par grandes unités, écrasante prédominance du salariat, rémunérations contractuelles et surtout travail stable, garanti et protégé par l'Etat, les institutions, les syndicats, la législation. 

L'informalité fut conçue à contre-pied et en porte-à-faux, par rapport à un modèle idéal, bien réel certes mais historiquement exceptionnel, celui des Trente Glorieuses. L'informalité incarnait la part obscure et maudite des pays riches, part qu'il fallait résorber.

Qu'en est-il advenu ? Au cours de ces 46 années, le contenu, l'ampleur et la signification même de l'économie informelle connurent d'importantes mutations. Schématiquement, jusqu' en 1990, l'économie informelle fut surtout considérée comme un obstacle à la modernisation, au développement, à la prospérité. Aujourd'hui les impératifs de l'époque dite postfordiste semblent l'imposer et la flexibilité du travail qui caractérise l'informel semble devenir le remède universel pour les économies du Sud mais également du Nord. Elément négatif au départ, car confinant d'abondantes populations dans des situations de travail non-protégé, non régulé, non-enregistré et non-taxé, le travail informel est désormais encouragé par les Etats nationaux qui tendent à l'inclure dans leur législation. Mais s'agit-il du même phénomène ? Et quelsen sont les enjeux pour l'OIT ?

Le but de cette communication est de présenter de manière succincte l'historicité, les principaux hiatus, voire les impasses, liées à cette notion. Au cœur de l'informel se trouve l'Etat et sa capacité ou sa volonté à réguler l'économique. 

 

 

ENGLISH VERSION 

 

The Vicissitudes of the Notion of Informal Economy and the International Labour Organization

Born at the beginning of the 1970s, under the auspices of the ILO, the term of informal economy henceforth became a fundamental component of ILO's conceptual arsenal. Self-explanatory and yet nebulous, the new notion came to know a staggering destiny. It was adopted by most International Organisms (United Nations, World Bank, OECD, etc.) and later by the European Union. Coined in order to describe the overwhelming majority of economic activities in African cities, the notion of informal economy was quickly transplanted to Latin America and to various Southern countries, where it concerned a significant percentage of their populations. In the late 1970s, it completed its geographical trajectory by reaching the wealthy Northern countries, where the notion encompassed only a minority of the “left behind”. One thing led to another, and from scientific reports to International Congresses and Conferences, the new concept was spread, just as quickly, within the academic world. Despite some distrust, objections and critique, most economists, anthropologists, sociologists, etc genuinely welcomed it and passionate debates on technical, methodological, or statistical matters ensued. In a few years the notion of informality became a scientific theme per se and the quantity of relevant publications increased exponentially.

That being said, the socioeconomic reality related to informal economy was not unknown to anthropologists, development economists or historians; but this new binary of formal/ informal –at first sight obvious, but in fact deeply ambiguous-- indeed established. Thence the socioeconomic reality of the poorest countries was identified with informal economy. In other words, the notion of informal economy was a counter-model, and it corresponds to the way in which the Western countries have perceived any economic activity that was not compliant with their own labour and production standards: that is industrialization in large units, overwhelming preponderance of salaried employment, contractual remunerations, and most of all, stable and guaranteed work, protected by the State, trade unions and the law. Informal economy is a notion that led to conceptual fallacies, as it was conceived on unstable ground; it was based on an optimal pattern, an ideal exemplum, certainly real, but historically exceptional: the Thirty Glorious Years pattern (the years of reconstruction following the Second World War). Informal economy exemplified, to a certain extent, the dark side, the cursed side of the wealthy countries, which had to be eliminated. 

What was the outcome? In fact, during those 46 years the content, the scale, and even the semantics of informal economy have gone through important mutations. Schematically, until 1990, informal economy was mostly considered to be an obstacle to modernization, development, and prosperity. Nowadays, the imperatives of the so-called post-fordist age are supposed to impose informality as well as work flexibility that characterizes it; informality seems to become the universal remedy for the Southern and the Northern economies. Starting off as a negative element, because it confined a vast part of populations to unprotected, unregulated, unrecorded, and untaxed work conditions, informality is henceforth encouraged by national states that tend to include informality in their work legislation[1]. But is it the same phenomenon? And which are the stakes for the ILO? The aim of this paper is to succinctly present the historicity, the main ruptures and even the impasses linked to this notion. At the very heart of informality lies the State and its capacity or willingness to regulate the economy.

 


[1] Clauwaert, Stefan, Isabelle Schömann, 2012, The Crisis and National Labour Law Reforms: A Mapping Exercise, Working Paper No. 2012.04, Brussels: European Trade Union Institute.


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