Par auteur > Jeronimo Miguel

Remettre en cause les clauses impériales : l'Organisation Internationale du Travail et la question du travail colonial « indigène » (1919-1962)
Jose Monteiro  1  , Miguel Jeronimo  1  
1 : Université de Coimbra  (Center for Social Studies)

Cet article porte sur les changements au sein de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) concernant la formation des empires, et notamment la question du travail colonial, en se focalisant sur deux moments historiques. L'analyse montre comment l'organisation s'est engagée dans les dynamiques politiques de la hiérarchie coloniale : comment l'OIT a-t-elle interagi avec la notion d'une distinction fondamentale entre les mondes sociaux des métropoles et des colonies ? L'étude sera faite à partir de la reconstitution des débats au sein de l'organisation concernant l'établissement de normes internationales de travail dans les colonies, mais aussi par l'examen de l'évaluation faite par l'OIT, à travers des mécanismes de plus en plus intrusifs, des politiques et pratiques coloniales, et, enfin, par l'analyse des différentes façons par lesquelles l'OIT a été mise en question par nombre d'acteurs cherchant à soutenir ou critiquer la légitimité du projet impérial.

L'étude se focalise d'abord sur la période d'entre les deux guerres, caractérisée par une accélération de l'internationalisation des questions coloniales. L'OIT était l'un des plus importants forums où l'on pouvait imaginer et discuter le examen minutieux international des sociétés coloniales, mais aussi des possibles interventions sur celles-ci. Des acteurs différents, avec des perspectives distinctes, ont participé au processus de formulation et à la potentielle institutionnalisation de nouvelles normes concernant le « travail indigène ». Nous montrons, par l'analyse des débats autour du Comité d'Experts du Travail Indigène et le grand nombre de participations d'acteurs externes (par exemple, de l'International Colonial Institute ou de l'Anti-Slavery and Aborigines Protection Society), que l'OIT a joué un rôle crucial dans le processus d'internationalisation de la question du « travail indigène ». Nous employons une démarche comparative qui explore comment les acteurs des empires portugais, belge, français et britannique ont réagi aux opportunités, mais aussi aux contraintes, posées par cette nouvelle arène institutionnelle où les questions de la justice sociale, des (in)égalités culturelles et « raciales », ou des droits et conditions de travail étaient abordées de façon novatrice.

Dans un deuxième temps, l'article se focalisera sur la période de décolonisation globale. A la fin de la seconde Guerre Mondiale, l'OIT a révisé fortement ses normes concernant les territoires coloniaux. Ce processus s'est poursuivi par l'entrée de nouveaux pays dans l'organisation, comme résultat de plusieurs vagues de décolonisation. Non seulement il y a eu une universalisation des normes internationales de travail, mais le champ d'acteurs interagissant avec l'organisation est devenu global. L'analyse des deux premières plaintes portées par un État contre un autre à l'OIT, toutes les deux impliquant l'empire portugais (et, plus directement, le Ghana et le Liberia), nous mène à questionner comment les changements au sein de l'OIT ont produit des effets sur ses relations avec des pouvoirs impériaux et des nouveaux États postcoloniaux. Par exemple, comment le renforcement des mécanismes de supervision ont conduit à l'augmentation de la capacité de l'organisation de conditionner les choix politiques au niveau national. L'article montrera aussi le rôle de l'OIT comme centre pour des activistes anticoloniaux ou des défenseurs des Droits de l'Homme (par exemple : l'American Committee on Africa, ou l'International League for Human Rights) et l'importance de la question coloniale à l'intérieur de l'organisation.

 

ENGLISH VERSION

Challenging imperial clauses: ILO and the question of colonial "native" labour 1919-1962

This paper will focus in two moments in time, in order to address the historical transformations of the International Labour Organization (ILO) regarding imperial formations, namely the question of colonial labour. It will assess the ways in which the organization historically engaged with the politics of colonial hierarchy: how did the ILO interact with the notions of a fundamental distinction between the metropolitan and colonial social worlds? This will be done through the reconstitution of the debates within the organization regarding the establishment of international labour standards for the colonies; by exploring its assessment (through increasingly intrusive scrutiny mechanisms) of colonial policies and practices; and, finally, by studying the manners through which the ILO was challenged by a myriad of actors supporting or criticizing the legitimacy of the imperial project.
The first historical instance to be addressed is situated in the interwar years. This period was characterized by the acceleration of the internationalization of imperial and colonial affairs. The ILO was one of the most important fora in which the possibilities of an international scrutiny of and intervention over colonial societies were imagined and disputed. The formulation and potential institutionalization of new norms regarding the so-called “native labour” was a process in which diverse actors, with distinct outlooks, intervened. Focusing especially in the debates around the Committee of Experts on Native Labor and on numerous engagements of external actors – from the International Colonial Institute to the Anti-Slavery and Aborigines Protection Society –, we will underscore the crucial role played by the ILO in the internationalization of the “native” labour question. We will do so using a comparative lens, exploring the ways in which actors from the Portuguese, the Belgian, the French and the British empires engaged with the opportunities and the restraints posed by a new institutional arena in which particular topics related to social justice, cultural and “racial” (in)equality, work conditions and rights were addressed innovatively.
In a second moment, the paper will address the years of global decolonization. As World War II ended, the ILO substantially redefined its standards regarding colonial territories. This process deepened as new countries adhered to the organization as result of the several waves of devolution of power. Not only there was a gradual universalization of international labour standards, the range of actors who engaged with the organization became truly global. By looking at the two first complaints filed by one state against another at the ILO, both involving the Portuguese empire (and more directly Ghana and Liberia), we will question how changes at the ILO impacted on its relations with imperial powers and new post-colonial states, for instance enhancing its supervisory mechanisms and, therefore, increasing its ability to condition internal political options. The role of the organization as a hub for anti-colonial or human rights activists to coalesce (e.g. American Committee on Africa or the International League for Human rights) and the centrality of the colonial question within it will be duly explored.


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